dimanche 2 décembre 2012

L'Eau et sa politique


  Une approche politique de l'Eau

Dans le cadre du cycle 2012/2013 sur l’Eau, au Hâ 32, Pierre-Frédéric Ténière-Buchot, nous a proposé une approche politique de l’Eau. Si l’exposé a été une fois de plus remarquable, la politique de l’eau est loin d’être claire comme de l’eau de roche !
Avoir une approche politique de l’eau, c’est essayer de comprendre comment s’organise et se conduit la gestion de cette ressource naturelle, à la fois sur son grand cycle (le mouvement naturel de l’eau) et sur son petit cycle (son traitement pour la rendre potable).
Pierre-Frédéric Ténière-Buchot, aujourd’hui, vice-président du Programme Solidarité Eau (initié par Stéphane Hessel) et membre de l’Académie de l’Eau, est tombé dans l’eau un peu par hasard et disons que le hasard fait parfois bien les choses.
Ingénieur dans l’aérospatiale et gageant sur l’échec commercial du Concorde, sa mise à l’écart le conduit à la fin des années 60, à découvrir le monde de l’eau à une période de croissance (Trente Glorieuses). A cette époque, c’est la naissance des Agences financières de bassins, au nombre de 6 (aujourd’hui Agences de l’Eau). C’est une révolution dans la gouvernance de cette ressource naturelle, l’idée étant de porter sur la place publique les problématiques liées à la politique de l’eau (« Livre Blanc » de la DATAR, 1970).
Mais il s’agit bien là d’une véritable gageure au regard de l’opacité de la politique de l’eau, en 2012. Si tant est qu’elle fût, un jour, transparente !
D’ailleurs, il semblerait qu’il y ait, non pas une, mais plusieurs politiques de l’eau ou plutôt différents aspects :
- l’aspect financier, important et ambigu qui mêle fonds privés/fonds publics,
- le nexus ou nœud gordien, un enchaînement complexe entre énergie-eau-alimentation qui veut que pas d’eau-pas d’énergie etc…
- l’aspect « réseaux » ou relationnel pour l’obtention des marchés 
- et enfin, l’aspect médiatique « pour plaire ».
Plusieurs constats s’imposent à nous et malgré nous et bien souvent, ils sont navrants.
La question de l’eau (et plus largement, celle de l’environnement) est une préoccupation des gens riches !
La politique de l’eau du grand cycle n’intéresse que très peu et de fait, les investissements de quelque nature qu’ils soient, sont bien faibles.
Le petit cycle de l’eau ou « des tuyaux » occupe bien plus ! Et pour cause… Il est bien plus rentable ! Un exemple, celui du marché des eaux minérales en bouteilles qui ne sont rien d’autre que des tuyaux (dixit notre conférencier !). Car la ou les politiques de l’eau sont une affaire comptable dont les principes de base sont les négociations et les compromis entre l’Etat (en France, il est représenté à hauteur de 20% dans les Agences de l’Eau à travers les différents ministères concernés), les collectivités locales, les Veolia, Suez (Lyonnaise des Eaux) et Saur, et les associations. Par conséquent, l’Etat n’est pas repré-sentatif du domaine public. De fait, le marché de l’Eau en France (si, si c’est un véritable marché !) manque de transparence. C’est vrai aussi ailleurs, où la gestion rencontre les mêmes difficultés avec la corruption en plus ! La politique de l’eau est une politique pour se faire élire ! C’est le constat, fondé sur sa riche expérience, que fait Pierre-Frédéric Ténière-Buchot. Avant une élection, les promesses nombreuses ne sont jamais tenues après. Pour cette raison, les associations qui généralement connaissent peu ou mal les problèmes liés au traitement de l’eau, posent les questions qui dérangent et de fait, sont indispensables si nous voulons un peu plus de clarté et d’influence sur cette gestion, dominée par les trois mastodontes cités plus haut.
Mais que fait la loi ? Au niveau national, c’est le Parlement qui légifère (lois 1964, 1992, 2006). Seulement pour que la loi soit appliquée, il faut que les décrets d’application soient pris, ce qui en la matière est rarement le cas. In fine, ce sont les corps intermédiaires (cf plus haut) qui font la politique. Tout repose donc sur le compromis car les pratiques priment sur les lois.
Au niveau international, c’est la Banque Mondiale qui est depuis de nombreuses années déjà, plus mondiale que banque (dixit notre conférencier). Elle est surtout un gros bureau d’études et a de moins en moins d’argent pour les pays pauvres. En réalité, il n’existe pas de législation internationale : chacun croit que l’eau lui appartient et aucune déclaration onusienne n’a encore atteint le nombre de voix nécessaires pour être appliquées. Et là aussi, les fonds privés sont puissants et de toute évidence une grande opacité domine.
Pierre-Frédéric Ténière-Buchot ne remet pas en cause ces systèmes. Il insiste sur l’importance des associations, au moins au plan national, qui par leur participation, peuvent discuter, négocier, influencer des décisions ; certes elles court-circuitent les canaux officiels mais sans jamais être hors la loi, elles peuvent et doivent prendre part activement aux compromis.
La route vers une politique de l’eau limpide et transparente semble être longue. Derrière, il y a des hommes ici et ailleurs. Il s’agit de les écouter, de voir comment les écouter, comment mettre tout le monde d’accord. Il s’agit de trouver un équilibre et en cela le compromis semble être un outil incontournable, essentiel.

SL 

Article publié dans "EPT", journal de l'ERBdx, décembre 2012

dimanche 4 novembre 2012

Petite philosophie de l'Eau



                                                   « Petite philosophie de l’Eau » : 
une bien belle histoire d’eau pour la conférence inaugurale du cycle 2012-2013 du Centre Hâ 32  avec Laurent Bibard, professeur à l’ESSEC Business School. *



Chez les philosophes de la Grèce antique, dans le judaïsme, dans le christianisme puis chez les humanistes, l’eau liquide intéresse de manière inégale ces différents courants. Sa nature contradictoire, à la fois bienveillante et menaçante, fait que l’eau n’a jamais été prise au sérieux, qu’elle n’a jamais été un sujet de réflexion pour elle-même. D’électron libre chez les Grecs, avec le judaïsme, elle devient le bras droit de Dieu ; elle ne fait plus peur avec le christianisme. L’humanisme va la maîtriser et joue un rôle décisif. Il nous a contraints à être dans l’utilitarisme de l’eau, à être dans un rapport technique.

Les mythes, le polythéisme donnent naissance à la philosophie « qui aime la sagesse », chez les présocratiques, époque où la nature (« phusis ») est la base même de leur réflexion philosophique. Selon les Grecs, la nature est le référent ultime avant les dieux, elle est éternelle, « on se coule » dans la nature. Pour Thalès, le principe de toute chose, c’est l’eau, dans le sens « d’esprit ». Elle est principe unique, elle est totalité. On philosophe en direct avec la nature.
Socrate crée une rupture car il fait de la philosophie avec les autres. L’eau n’est plus le principe unique. Elle devient un des quatre éléments avec la terre, l’air et le feu. Ils sont abordés pour leur côté utile. Aristote « médicalise » leur essence : ils sont porteurs de dynamiques qui font que l’homme est ou pas, en bonne santé ; ils équilibrent ou pas notre métabolisme puisqu’ils sont humides, secs, chauds ou froids avec de multiples variantes.

Avec le judaïsme, la nature n’est pas éternelle car aucune autre totalité ne s’oppose à Dieu. Dieu fait ce qu’il veut avec l’eau : c’est du concret.
Les traditions grecques et juives sont contradictoires ; pour les Grecs, les dieux sont issus de la nature qui est Une,  alors que pour les Juifs, Dieu est unique, souverain et créateur.
Ces deux traditions sont à l’origine du christianisme. Avec Jésus Christ, à travers la mort et la résurrection, il y a dépassement, il est plus fort que la nature.

L’humanisme transpose sur le plan laïc ce que le christianisme a montré. On connaît la nature. Descartes veut que l’homme ait une vie à lui, ici sur terre, entre la naissance et la mort. On reconnaît les lois de la nature pour la surmonter. Et donc l’eau est un moyen comme un autre pour l’humanité. Grâce à la science et à la technique, on peut faire des miracles : l’homme maîtrise l’eau. On invente la navigation pour aller vers l’inconnu. L’eau est un obstacle et force l’homme à s’élever au-delà de la nature. L’esprit de l’homme est en route vers lui-même.

Plus près de nous, Heidegger parle d’ « arraisonnement » de la nature, sa soumission à la raison humaine. Il pose une question fondamentale : nous ne regardons pas ce que la nature et en particulier, ce que l’eau a, à nous dire. Le XXème siècle connaît une crise spirituelle ; l’homme est en danger. Pour se sauver, il est nécessaire de réapprendre à voir les choses.
Comment, aujourd’hui, dans un contexte mondial insécure, dans un contexte de peur de l’eau, de peur d’en manquer, comment recevoir l’eau telle qu’elle est ? Comment apprendre à voir ce qu’elle veut dire ?

L’eau suit la ligne de grande pente ; comme la pierre, elle va vers le bas même si on peut la retenir par des barrages. « Il faut suivre sa grande pente » a dit André Gide. Donc faire de la philosophie, c’est être à contre-courant comme l’eau, naturellement à contre-courant.
La « petite philosophie » de Laurent Bibard nous a permis de naviguer et de comprendre, au fil de l’eau, combien, aujourd’hui, l’eau et la nature doivent être prises au sérieux et combien il est urgent de changer le cours de notre approche, combien il est urgent de prendre le temps d’écouter ce que la nature a, à nous dire.

SL

* Article paru dans le journal de novembre 2012 (ERF Brdx)

lundi 1 octobre 2012

« L’hébreu et le grec : une entrée dans la Bible »



 


Le jeudi 20 septembre a eu lieu une conférence hors-cycle : « L’hébreu et le grec : une entrée dans la Bible ».
Danielle Ellul (1), professeur de théologie, à l’Institut catholique de Toulouse, a partagé sa passion pour les origines de la langue biblique. Classés parmi les « langues mortes », l’hébreu et le grec bibliques ont pourtant une vie. Ils véhiculent une pensée riche, en mouvement et permettent de discerner les enjeux théologiques des textes.

Et particulièrement l’hébreu ; il présente quatre caractéristiques essentielles.

Il est « concret et réel ». Il se rapporte toujours à une réalité concrète : - « אַף » = « être en colère », c’est avoir «le nez» qui s’enflamme ! – « כבד » signifie « gloire » mais aussi « foie » et donc, ce que nous traduisons par « gloire de Dieu », n’est pas la renommée mais le poids de la présence de Dieu puisque le foie est l’organe le plus lourd. Ce que nous appelons « esprit » et que nous considérons comme une faculté intellectuelle se transcrit « רוח » ; en hébreu, c’est encore le « souffle », le « vent » ; ce qui exprime d’abord le mouvement, l’air en mouvement, le souffle de l’Homme, sa force vitale mais son caractère éphémère. C’est le souffle de Dieu en tant que puissance créatrice, toujours en mouvement. « Conclure une alliance » revient « à couper » une alliance (sens de la circoncision) avec l’action sous-jacente de trancher, de faire un choix exclusif. (2)
Tous ces exemples montrent qu’il n’existe pas de pensée philosophique abstraite ; toutes les actions, dans la Bible sont bel et bien concrètes. On parle d’anthropomorphisme biblique : Dieu est vivant et agit comme agirait un homme.

Il est « relation et mouvement ». Tous les mots expriment un mouvement, une action, une relation entre deux personnes. « Rendre la justice », ce n’est pas « passer devant un tribunal », c’est rétablir quelqu’un dans ses droits, c’est délivrer le pauvre, arracher l’opprimé à sa détresse. Bref, rendre la justice, c’est conduire, protéger, gouverner, rétablir une situation perturbée.
L’hébreu a un caractère dynamique ; l’ordre de la syntaxe, c’est V+S+CO (pour nous syntaxe=S+V+CO). Il n’existe pas de temps. L’action ne se décompose pas en passé/présent/futur ; elle n’est pas située par rapport au sujet. L’action est située par rapport à elle-même ! Avec l’hébreu, nous sommes soit dans « l’accompli », l’action est terminée mais concerne le futur ou dans « l’inaccompli », une action passée comme si on assistait à son accomplissement (c’est le temps du récit).
Indépendamment de l’action, celle-ci est soit en cours d’accomplissement ou pas encore commencée. Un exemple : dans Dt 6,5 « Tu aimeras l’Eternel, ton Dieu… », il s’agit déjà d’un acte d’amour.
Sur le plan théologique, pour un Hébreu, il n’y a pas de recherche de ce qu’est Dieu en soi. Seule son action, son mouvement vers l’homme est important autant que le mouvement de l’homme vers Dieu. Ce mouvement exprime ce que Dieu dit et fait. Dieu est toujours en action et on ne nous dit pas qui il est.
La Révélation biblique n’est pas un système figé, immuable. Elle est un mouvement qui se renouvèle et s’accomplit sans cesse. Nous sommes dans l’action.

Il est « unité et totalité ». La pensée occidentale est analytique. Elle raisonne par déduction. Elle part du détail et va vers la totalité. En hébreu, c’est l’inverse. La pensée part de la totalité et va de plus en plus dans le détail. En Gn 12,1 « L’Eternel dit à Abraham : va-t-en de ton pays, de ta patrie, et de la maison de ton père, dans le pays que je te montrerai ».
On parle du Cananéen, du Moabite pour signifier qu’un homme représente la totalité du peuple auquel il appartient. Par contre, le peuple est unité, il est « une seule voix ». Dans son alliance avec Dieu, il s’agit d’une acceptation collective du peuple puis d’une adhésion individuelle.
Le comparatif n’a pas de forme en hébreu ; pour signifier, par exemple, que « le fils est plus grand que son père », l’hébreu dit « le fils est grand, hors de son père ». Sur le plan anthropologique, la répercussion est importante : l’homme n’a pas une âme, un corps et un esprit distincts mais il est une totalité, une et indivisible.

Il est « plénitude et force ». De la même manière, la forme superlative n’existe pas. Elle s’exprime par une forme de plénitude de l’objet, par répétition des mots : « Le Roi des Rois » est le Roi dans toute sa plénitude royale. La force s’exprime dans les multiples sens d’un même verbe ; c’est une voix intensive : « parler », c’est parler et agir en même temps, c’est un même acte, un acte de puissance. « Chercher » Dieu, c’est « être passionné pour lui » d’où le caractère concret de Dieu dans sa relation avec le peuple.

Qu’en est-il du grec biblique ? Volontairement et dès le départ, Danielle Ellul a fait le choix d’avoir une approche plus rapide.
La Septante est écrite par des Juifs pour s’adresser à des non-Juifs et être compris. Les différences grammaticales sont nombreuses. Le grec est une langue à flexion, à déclinaison et donc l’ordre des mots est libre. Le système verbal est plus complexe : le temps marque l’aspect de l’action. C’est une langue d’une grande précision tout en subtilité et elle invente un vocabulaire spécifique : exemple : « eido » qui se traduit par « apparence » devient « idole » dans la Septante et va ensuite donner naissance à l’idolâtrie.

Paul fabrique toute une collection de mots pour traduire l’affection pour Dieu. Un langage, un discours théologique naît. Nous entrons dans un mode de pensée différent, plus statique, métaphysique et donc créateur de vérités éternelles et c’est la naissance de dogmes. On ne peut plus parler directement à Dieu. Avec le grec biblique, s’exprime une nouvelle réalité de l’Eglise. 

Plusieurs questions se posent : l’hébreu biblique ne devrait-il pas être d’utilité publique, puisqu’il semblerait que le message originel, mal traduit, n’ait pas été transmis ou mal ou pas dans sa totalité? Que du coup, de siècle en siècle, les individualités sont devenues plus puissantes ? Et ont permis les communautarismes, au moins source de divisions, au pire source de guerres, ici peut-être, ailleurs très certainement?
Sans doute, il est encore question de pédagogie…

SL

 (1)     ELLUL, D. « Apprendre l’hébreu biblique par les textes ». Editions du Cerf, Paris, 2004, p.440. ISBN 2-204-07271-0
ELLUL, D. « Apprendre le grec biblique par les textes ». Editions du Cerf, Paris, 2004, p.345. ISBN 2-204-07272-9

         (2)     THE UNBOUND BIBLE. Biola University.  [En ligne]. Disponible sur :
                  « http://unbound.biola.edu/index.cfm?method=multilex.showSearchForm&detached=1 ». (consulté le 23/09/2012)

       MESCHONNIC, H. « Traduire la Bible, de Jonas à Jona ». Revue Persée, 1981, vol .51, n°51, p 35-52. [En ligne]. Disponible sur : « http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1981_num_51_1_5096 ». (consulté le 23/09/2012).


                                                                                                           © Sylvie Lacoste octobre 2012

Article paru dans "EPT", journal de l'ERbdx, octobre 2012


mardi 17 juillet 2012

Apéro Théo



 "L' Impossible prière" de Jacques Ellul




Le vendredi 4 mai 2012 a eu lieu, au Hâ 32, le deuxième Apéro-théo. Après « La Subversion du christianisme » (1) de Jacques Ellul, c’est son ouvrage « L’Impossible prière » (2) qui était à l’étude critique d’une assemblée fort curieuse et passionnée par des échanges, animés par le pasteur Nicolas Cochand.
Dans cette œuvre critique, Jacques Ellul confronte la prière chrétienne aux défis posés par notre époque, l’examine du point de vue de l’homme contemporain: « …L’homme de notre temps ne sait pas prier, mais beaucoup plus il n’en a ni l’envie ni le besoin, il ne trouve pas en lui la source profonde de la prière… » (3).
La prière est indéfinissable, dans sa forme comme dans ses objectifs. Elle soulève diverses problématiques sans doute dues en partie, aux malentendus qui lui sont liés. Car les fondements de la prière, si toutefois nous les cernons, restent fragiles. Et c’est sans doute cela qui explique qu’il est bien difficile de prier.
Qu’est ce qui fait que l’homme prie ? Selon J.Ellul l’homme a toujours prié ; c’est inscrit dans sa nature. Il a un impératif de prière même si ce n’est pas démontrable. « …Si la prière est fondée dans la nature de l’homme, celui-ci a fabriqué le partenaire de sa prière à partir de sa propre nature. Autant dire qu’elle est une parole sans objet et sans contenu… » (4). En d’autres termes, le partenaire est un partenaire fabriqué par l’homme. C’est de l’ordre de la projection en dehors de nous-même mais de quelque chose qui est nous. Et c’est ce qui explique le déclin de la prière dans notre société moderne. Alors certes, l’homme moderne prie mais ce sont de fausses prières. Par elles, il sacralise des choses qu’il refuse de reconnaître à Dieu. Ce partenaire est un substitut de Dieu.
Alors que justement, pour J.Ellul, la prière est possible car Dieu est proche de l’homme, il va à sa rencontre. Elle est objet de relation entre soi et Dieu. C’est pourquoi un préalable de foi s’impose : la prière ne doit pas être « un moyen d’infléchir Dieu mais de lui livrer notre parole » car le commandement du Christ se suffit à lui seul (5), et est une raison valable de prière. Mais aujourd’hui, la parole est dévalorisée. Pour l’homme moderne, la prière répond à un critère de résultat, d’efficacité. Elle est donc vouée à l’échec.
La situation de la prière est difficile car la foi ne va pas de soi. Alors que pour Jacques Ellul, cette obéissance à la foi est source de liberté.

 SL

(1) ELLUL, Jacques. « La subversion du christianisme ». Paris, La Table ronde, 10 novembre 2001. (La petite vermillon, 145).
ISBN : 978-2-7103-2444-7

(2) ELLUL, Jacques. « L’Impossible prière ». Paris, Le Centurion, 4 avril 1977.
ISBN 978-2-2273-3507-3

(3) « L’Impossible prière », p.641
(4) « L’Impossible prière », p.666
(5) Matt. 26 : 41 ; Marc 13 : 33 ; 14 : 38 ; Luc 21 : 36

lundi 2 juillet 2012

Les aléas d'un urbanisme du bonheur au XXème siècle: les cités jardins


Voilà un mois déjà, s’est déroulée la dernière conférence du Centre Hâ 32, sur le cycle du bonheur.
Le pari était audacieux car définir le bonheur est bien périlleux en ces temps d’égoïsme et d’insatisfaction perpétuelle, souvent teintés d’incompréhensions parce que la parole ne lie plus les uns et les autres, les uns aux autres. Parce que l’engagement se fait de plus en plus rare. Manque de profondeur et de cohérence marquant souvent le passage de la parole à l’acte.
Définition assez subjective que celle du bonheur, alors ? Oui, sans doute. Pourtant, nous avons vu qu’il existe bien. Il suffit d’y croire et de s’en donner les moyens.
C’est ce que nous avons évoqué une dernière fois, le 24 mai 2012 avec Ginette Baty-Tornikian, maître-assistante à l’ENSA (Ecole Nationale Supérieure d’Architecture) et chercheur à l’IPRAUS (Institut Parisien de Recherche : Architecture, Urbanistique, Société) : le mariage de la construction et de la nature, de la nature et de la culture pour le plus grand bonheur des gens. La cité-jardin mêle logements sociaux individuels et collectifs, équipements collectifs entourés de jardins et classes sociales.
Ebenezer Howard a eu l’idée du nom de « cités - jardins ». Dès le départ, bien plus qu’un nom, c’est un projet qui s’inscrit dans le cadre d’une expérimentation pour tenter des choses qui n’existent pas avant. L’Exposition Universelle de 1900 va véhiculer cette idée, au Pavillon de la Solidarité où patrons, syndicats-ouvriers, coopératives et associations se rencontrent. Des relations fortes se tissent alors entre intellectuels, patrons et hommes politiques.
Le début de l’aventure s’amorce avec l’Ecossais Patrick Geddes. Il est convaincu que les processus sociaux et les formes qu’ils prennent dans l’espace, sont liés. En changeant les formes spatiales, il devient possible de changer la structure sociale. Pensée novatrice en matière d’urbanisme, il est l’initiateur d’un mouvement : l’urbanisme social.
A Bordeaux, Charles Gide, professeur d’économie sociale et protestant, sera un grand producteur d’informations sur les cités - jardins, après une rencontre enthousiaste avec Geddes.
En ce XIXème siècle finissant et l’industrialisation qui a bouleversé les conditions de vie, pour les intellectuels, la recherche d’une paix sociale est prégnante alors que les politiques sont loin de cette idée.
Les gens doivent être autonomes en dehors de leur journée de travail. C’est l’avènement des deux temps séparés : le lieu de travail doit être différent du territoire habité. C’est l’abandon de la gestion du temps du travailleur par l’entreprise, la fin de la cité patronale.
Pour Howard, c’est la condition de la paix sociale. Cette idée fascine et au Royaume-Uni, elle va être soutenue par le patronat.
Par la cité-jardin, on veut une réforme sociale pacifique, porteuse d’égalité et de responsabilité de chacun, dans sa gestion de la vie collective. Avec l’idée d’une ville où n’existent plus les inégalités. Il s’agit d’aménager l’espace urbain de sorte que les villes soient séparée les unes des autres, qu’elles aient ainsi chacune leur propre identité et loin des industries polluantes; c’est déjà, de la démocratie participative.
Howard montre que les gens sont tous liés les uns aux autres. Il faut donc construire des routes pour qu’ils se connaissent mieux et qu’ils soient solidaires.

Schéma simplifié de la conception de l’organisation de
cités-jardins autonomes selon Ebenezer Howard,
reliées par des moyens de communication,
Autour les espaces collectifs  (©Sylvie Lacoste 2012)
Dans les cités - jardins, les différentes fonctions sont séparées.
En France, le mouvement de construction des cités - jardins se développe durant l’Entre-deux-guerres, avec l’Office public HBM (Habitation à bon marché). Pour décongestionner Paris, une quinzaine cités - jardins sont élevées. Une dizaine subsiste, aujourd’hui : Suresnes, Gennevilliers, Châtenay-Malabry pour ne citer qu’elles.
Près de Bordeaux, à Pessac, ce sera la cité Frugès de Le Corbusier.
Et en 2012 ? Les cités - jardins restent une référence en matière d’urbanisme, inscrite désormais dans le cadre du développement durable dont on dit qu’il doit assurer le bonheur des générations futures.
Je vous souhaite à toutes et à tous un bel été, rempli de bonheurs !


SL