mardi 1 novembre 2011

Faut-il rechercher le bonheur?


 Faut-il rechercher le bonheur ?


Jeudi 20 octobre, Hervé Parpaillon, professeur de philosophie à Bordeaux, a présenté au Hâ 32 la première conférence sur le cycle du « Bonheur ».Nous étions nombreux ce soir-là. Un exposé divisé en trois temps coupés d’un temps de réflexion et d’échanges ; une formule réussie !
Le bonheur est une notion abstraite et complexe. Faut-il le rechercher ? Le postulat de base est : oui, tous les hommes recherchent le bonheur. Epicure, Kant, Montaigne et Mencius ont réfléchi à la question.

Premier voyage avec Epicure. Dans l’Antiquité, bonheur et vertu vont de pair. Pour Epicure, le Souverain Bien, le vrai bonheur est dans la paix de l’âme que rien ne vient troubler. C’est le désir mais pas n’importe lequel, le désir naturel, nécessaire donc fondamental (manger à sa faim par exemple). A vouloir toujours plus, à dépasser le juste milieu, à choisir l’ubris, alors un cycle de douleur se développe ; la simplicité et l’abondance sont perdues. Alors que si le choix de la frugalité est adopté, les deux sont acquises et le bonheur est atteint. Comment y arriver ? En philosophant ; c’est une thérapeutique car la philosophie ôte le trouble de l’âme. Elle apporte le bonheur à tous les âges. Le vieux reste jeune et se réconcilie avec son passé et le jeune, reçoit la piété des anciens et va gagner en sang-froid. « Alors, en effet, nous avons du plaisir quand, par suite de sa non-présence, nous souffrons, mais quand nous ne souffrons pas, nous n'avons plus besoin du plaisir. » (Épicure, Lettre à Ménécée). Ainsi le bonheur est atteint. La vie est un processus de maturation.

Avec Kant, le deuxième voyage dans Les Fondements de la métaphysique des mœurs, le bonheur ne peut être qu’un objet d’espérance.Le bonheur est un concept indéterminé car il est empirique. Et même une vie simple n’est pas assurée d’avoir le bonheur. Le bonheur est dissocié de la vertu. La morale est fondée non sur le bonheur mais sur le devoir. Elle répond à un principe de législation  universelle : la même loi doit être suivie par tous et elle ne peut venir que de la raison pure car elle seule permet de poser des principes qui sont indépendants de l’expérience contrairement au bonheur. Kant accepte que le bonheur puisse être un objet d’espérance en ce sens que « Dieu représente l’unité suprême et stimule ainsi la tendance synthétique de l’esprit ».

Au cours de notre troisième voyage, Montaigne nous dit que « Notre grand et glorieux chef-d’œuvre, c’est vivre à propos », vivre en accord avec ce qui se passe à l’instant (Les Essais). Rien à voir avec le « Carpe diem » qui invite à rechercher le bonheur parce que le temps qui passe est un temps de destruction (souvenez-vous de le rose de Ronsard !). François Julien (philosophe et sinologue), identifie chez Montaigne un « concept du moment » ; le moment varie et est donc source de renouvellement : « quand je danse, je danse, quand je dors, je dors » autrement dit « je suis en accord avec le mouvement ». C’est un tout autre espace que celui de la recherche du bonheur que l’on retrouve dans notre…

Quatrième voyage en Chine. Pour Mencius, confucéen, ne pas s’enfermer dans la recherche de la possession de l’instant, c’est rester éveillé (Le Mencius) à notre sens moral inné. La recherche du bonheur n’est pas une finalité en soi.
« Un paysan qui veut que son blé pousse, tire sur les pousses; le soir, quand ses enfants accourent voir le résultat, tout est desséché. En tirant sur les pousses, en visant par cette action directement l'effet, il a forcé l'effet et produit immanquablement du contre-effet. Car la poussée est dans la situation: la graine qui est dans la terre et ne demande qu'à pousser. Faut-il pour autant rester passivement au bord du champ et regarder pousser: j'attends que ça pousse... ? Non, bien sûr; il convient seulement, nous dit Mencius, de faire ce que tout paysan sait, qui est discret et non pas héroïque: de jour en jour, biner, sarcler, bêcher, au pied de la pousse - favoriser la poussée, c'est-à-dire favoriser la transformation silencieuse qui aboutit peu à peu, sous nos yeux, mais sans qu'on s'en aperçoive, à ce que le blé un jour soit mûr et qu'on n'ait plus qu'à le couper. » Mencius. 

Sylvie Lacoste
Article paru dans le journal de l'ERbdx, novembre 2011