mardi 31 mai 2011

"Le jeu: une addiction ?" *

                                                        
Conférence du jeudi 28 avril 2011, au Hâ 32 : Marc Auriacombe, professeur de psychiatrie et addictologie à l’Université de Bordeaux 2.
Sur un ton léger mais indispensable, Marc Auriacombe a su nous présenter un sujet plus grave qu’il n’y paraît. Merci à lui.

En quoi le jeu peut être une addiction ?
En premier lieu, qu’est- ce qui caractérise une addiction ?
Il n’existe qu’une addiction. C’est une grande révolution dans la compréhension de cette pathologie ; elle a donné naissance à une nouvelle discipline de la médecine : l’Addictologie.
En effet, alcool, drogue, tabac, argent, travail…et jeu ne sont que des objets d’addiction. Tous sont sources de gratification (intérêt/plaisir).

Mais quelle différence entre intérêt/ plaisir/passion et addiction ?
-          l’addiction est improductive et inutile ; elle n’est que souffrance ; c’est une pathologie handicapante.
-          la limite est franchie lorsque notre système universel de modulation/de contrôle de notre sens de gratification ne fonctionne plus, lorsqu’on ne peut plus tenir compte des conséquences de l’usage d’un objet.
-          dans l’addiction, l’envie de l’objet ne se déclenche pas dans « le moment normal ».
Alors que le plaisir/la passion sont sources de production. D’où parfois un diagnostic difficile à établir sachant qu’ils sont eux-mêmes facteurs de risques.
L’addiction existe en soi ; elle n’a pas de causes. Ou plutôt les causes sont multiples et la vulnérabilité addictive est variable selon les individus. C’est l’usage de l’objet qui perd de sa causalité contrairement au plaisir/ à la passion  où les différents usages ont un sens.

Il est établi que l’addiction tue, certes à petit feu mais elle tue. Elle est associée à une augmentation de la mortalité, elle diminue l’espérance de vie.
C’est une maladie fréquente : 10 à 30% des individus ont une addiction.
Le paradoxe de l’addiction - source de plaisir- est qu’elle est désespérante : l’individu dépendant veut arrêter mais ne peut pas d’où un risque réel de suicide.
L’addiction est désespérante. La souffrance du malade perturbe l’entourage (familial, amical, professionnel). Le premier passe son temps à freiner sans réussir pour résister à l’objet de son addiction tandis que le second passe son temps à accélérer et à presser le premier à arrêter.

Parce qu’il n’existe qu’un seul système de régulation, l’addiction est une maladie unique. Aujourd’hui, le travail des spécialistes se fait sur le système de contrôle et sur la perte de contrôle ; et non plus sur l’objet. C’est en cela que réside la révolution ; les centres de santé se sont réorganisés et ne sont plus centrés sur l’objet.

Mais pour réussir dans le traitement de cette maladie, les patients et leur entourage doivent avoir une vue du traitement sur un long terme, au –delà bien souvent de cinq ans dès la prise en charge.

Mais parce que le traitement se fait sur le système de contrôle et sur la perte de contrôle, des thérapeutiques efficaces existent aujourd’hui, pour toutes les addictions. Et le jeu peut être une addiction comme une autre.

Et çà c’est une excellente nouvelle.
                                                                                           Sylvie Lacoste

* paru dans le journal de l'ERF de Bordeaux /juin 2011

"Les fondements du mariage chrétien: un peu d'histoire." *

                                

Avant le XIème siècle, il n’existe pas de rite spécifique du mariage dans l’Eglise. Le rôle du père est essentiel, une dot scelle l’accord, le don de l’anneau symbolise l’union  et l’épouse peut entrer dans la maison de son mari.
 Les chrétiens se marient selon leur condition sociale. Et si nous avons de nombreuses sources sur le mariage des rois et des nobles en général, il est difficile de faire un tableau du mariage paysan.
Le mariage fait alors partie d’un code matrimonial qui repose pour l’essentiel sur la transmission d’un capital et où la fonction de l’épouse est de donner des descendants : masculinité et primogéniture sont de règles. Ce qui explique le rôle essentiel du père des  futurs mariés dans les tractations. C’est une stratégie à long terme.

Augustin d’Hippone est le fondateur de la discipline de l'Église en matière de mariage dans le « De bono coniugali » et le « De nuptiis et concupiscentia ». Il y construit les deux doctrines qui resteront tout le temps, celle de l’indissolubilité et de la procréation comme fin du mariage. Pour lui, le mariage est « proles » (fécondité), « fides » (fidélité), « sacramentum », (forme de sacrement et donc indissoluble). La procréation est la première fin du mariage. Dieu a institué l'union « pour engendrer, non pour pécher ». La « fides » est importante d’un point de vue très pratique, elle entraîne la présomption de paternité. Que le mariage soit « sacramentum » c’est-à-dire symbole, image de l'union du Christ et de l'Église, est une idée antérieure à Augustin puisqu’on la trouve déjà chez Origène, Tertullien, Ambroise et Jérôme.
Les débats sur la pratique du mariage tourneront ainsi entre deux thèmes principaux:
1-l'indissolubilité
2-le « sacramentum ».

Dans la tension qui la pousse à se réformer, à rompre certaines de ses collusions avec le pouvoir laïque, à s'ériger en magistrature dominante, l'Église intensifie après l'an mille, à propos de l'institution matrimoniale, son effort de réflexion et de réglementation : elle fait du mariage une institution religieuse. Depuis la fin du XIe siècle, se discerne l'édification progressive d'une liturgie matrimoniale.
 Elle aboutit à la construction d’une idéologie du mariage chrétien. Elle s'érige en une entreprise de spiritualisation de l'union conjugale. Ses aspects sont multiples : l'essor du culte marial qui aboutit à faire de la Vierge mère le symbole de l'Église, c'est-à-dire l'Épouse jusqu’à l'établissement du mariage parmi les sept sacrements. Un rituel se met alors en place : les mariés sont aspergés d’eau bénite, le lit est encensé et le couple béni est confié à Dieu ; tout ceci dans la stricte observance des consignes ecclésiastiques ; l’anneau, lui aussi béni n’est alors porté que par l’épouse. Mais c’est encore le père et non le prêtre, malgré sa présence, qui reste le principal officiant.

 Alors que pour Paul, le mariage des chrétiens est le signe visible d’une union et de l’amour du Christ et de l’Eglise, il faut attendre le concile Latran IV de 1215 : le mariage est intégré dans la liste officielle des sacrements ; il est donc indissoluble sauf par la mort. Latran IV structure la société et organise la famille. Le concile règlemente la publication des bans à l'occasion des mariages : Il n'est désormais plus possible de convoler dans la clandestinité. Cette mesure est destinée à lutter contre les unions consanguines, entre cousins et parents proches, que l'Église et le corps social tiennent en horreur, ces unions débouchant sur une dégénérescence génétique et, dans le meilleur des cas, sur un repli communautaire.
Les évêques conciliaires accomplissent un acte révolutionnaire en n'autorisant que les mariages pour lesquels les deux conjoints, l'homme et la femme, auront publiquement exprimé leur consentement. Ainsi, pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité, la société accorde aux femmes le droit de disposer d'elles-mêmes. Les femmes ne sont plus des mineures, comme sous l'Antiquité, ou des marchandises que le père cède contre une dot. Bien entendu, il faudra beaucoup de temps avant que les femmes puissent pleinement choisir et accepter leur conjoint. Elles seront longtemps encore soumises à la pression de leur entourage mais, avec l'appui de l'Église, leur liberté progressera régulièrement.
Mais c’est aussi la condamnation des doctrines vaudoise et cathare qui sanctifient la pauvreté et le renoncement aux valeurs matérielles.

C’est le concile de Trente qui décrète en 1563 que  le mariage n'est valide et sacramentel  que s'il est fait en présence d’un prêtre et de deux témoins contre Luther qui rappelle que le Nouveau Testament ne montre d'institution par Jésus que du baptême et de la Cène.  
Les Réformés ne reconnaissent pas le septième sacrement. Mais avec la Révocation de l’Edit de Nantes (1685), on fait appel à un pasteur pour les mariages « clandestins » par force. Ils s’apparentent  de fait à une forme de mariage civil.


Une nouvelle ère du mariage naît avec la Révolution française : elle  instaure le mariage civil dont les bases sont similaires au mariage chrétien. Toutefois le mariage est un contrat et le divorce devient possible.

Sylvie Lacoste 

* Paru dans le journal de l'ERF de Bordeaux / juin 2011