jeudi 29 décembre 2011

 L'Arcadie heureuse: le paysage du bonheur dans la peinture classique
Au Centre culturel Hâ 32, le jeudi 15 décembre 2011, Denis Favennec, docteur en histoire de l’art et professeur de mathématiques spéciales nous a proposé une lecture du bonheur dans la peinture, de la Renaissance à l’époque moderne, en Europe occidentale.
Certains peintres se sont emparés du mythe grec de « l’Arcadie » comme lieu possible du bonheur, le paradis terrestre en somme. Cette terre du Péloponnèse, devenue mythique, inspire l’activité picturale de Poussin à Friedrich en passant par Le Lorrain. Elle met en scène une opulente et généreuse nature dans laquelle l’homme croit reconnaître le bonheur absolu. Mais cette quête demeure fragile. Dans leurs paysages, les maîtres mettent l’accent sur le caractère périssable de l’existence humaine et du bonheur.

« Les Bergers d’Arcadie » de Nicolas Poussin, habillés en nobles, déchiffrent sur le tombeau, l’inscription « Et in Arcadia ego ». Elle révèle une ambiguïté fondatrice du bonheur. « Moi aussi, j’ai vécu en Arcadie » dit la mort et elle atteste ainsi avoir connu le bonheur sur cette terre. « Même en Arcadie, j’existe » : dans cette possible traduction, alors la mort rappelle aux vivants son omniprésence. Poussin semble avoir suggéré cette deuxième lecture. C’est donc un tableau mélancolique qui pose comme postulat l’existence de « deux Arcadie » développé en Occident.

Bien avant lui, les origines du paysage dans la peinture en Europe, se trouvent dans la Maison de Livie à Rome. La fresque le « Petit jardin de paradis » d’un peintre anonyme, montre un lieu paradisiaque, un jardin pur, délicieux avec des fruits, des iris bleus des oiseaux. Le paysage est vécu comme un espace de désir auquel il est possible d’accéder directement malgré la présence d’un muret. Comme dans « Les Bergers » de Poussin, le temps est apaisé. La Vierge lit et, à côté, toutes les activités du paradis se déroulent. Seul l’ange est en marge et peut-être s’ennuie-t-il ? Là encore, les deux postulats : on est certes au paradis, mais paradis perdu ou paradis à venir ?

On retrouve la même idée dans l’« Annonciation » de Fra Angelico. Dans ce retable, en haut à gauche, Adam et Eve rappellent le péché originel (le paradis perdu) alors que, au premier plan, l’ange annonciateur et la Vierge témoignent du paradis retrouvé. Il y a continuité historique, temporelle et spatiale.


Avec « Le jardin d’Eden » de Van der Goes, on entre de manière douce dans la scène : Adam et Eve sont encore innocents ; le fruit défendu va être cueilli. Au second plan, la colline à gauche, le ciel bleuté, lointain mais dont on peut supposer qu’au-delà du paradis, un ailleurs est suggéré. Autre évocation chez Bosch et le « Jardin des délices » : à gauche, le paradis, à droite, l’enfer, et, au milieu, un « entre-deux » : le jardin des délices. La ligne d’horizon des volets gauche et central du triptyque traduit une continuité possible. Ici, le paradis n’est pas perdu, il est même permis. Avec le paysage de « vanité », « Le Paradis » de Brueghel, fruits et animaux, création du monde sont menacés par le péché qui va bientôt avoir lieu (Adam et Eve en bas, à gauche, en arrière-plan).

 
Ce bonheur tant convoité est aussi menacé par le serpent, dans « Orphée et Euridice » de Poussin comme dans « Acis et Galathée » du Lorrain qui évoque à son tour le paradis perdu. Ces tableaux figurent la précarité de la vie et l’inanité des occupations humaines. Ils peuvent illustrer aussi la cupidité de l’homme : c’est Icare qui, pour atteindre son désir, se brûle (« Chute d’Icare » de Bruegel) alors que le paysan continue de labourer et semble heureux.
 
Le bonheur est un lieu toujours désirable et l’homme ne cesse de rêver d’ailleurs. Les amoureux de Watteau veulent rejoindre Cythère, l’île de Vénus sans savoir où elle se situe précisément. Saint Ursule du Lorrain s’embarque, guidée par le soleil, la lumière par excellence. Parce que le lieu vers lequel on se dirige est assurément un lieu agréable.



Pourtant, le bonheur ne semble pas atteignable. Peut-être doit-on le chercher ici et pas ailleurs comme « La femme de dos » de C. David Friedrich ?





Article publié dans le journal de l'ERbdx, Janvier 2012

Sylvie Lacoste

jeudi 1 décembre 2011

Le bonheur en politique


Le bonheur en politique



Dans le cadre des conférences du Centre du Hâ 32, conférence du 17 novembre 2011 :
« Le bonheur en politique »

Est-ce que la politique doit s’occuper du bonheur des citoyens ? Ou le bonheur relève-t-il du domaine privé ?

Daniel Picotin, avocat et ancien député de Gironde et Alain Anziani, également avocat et aujourd’hui, sénateur ont tour à tour exposé leurs points de vue. Une table ronde animée par Nicolas Cochand.

Spontanément, pour Alain Anziani, le bonheur doit être l’objectif de la politique : atteindre le bonheur de la population. Et le sénateur avoue connaître de très grandes joies. Car la politique, c’est vivre ensemble. Ce n’est pas si évident toutefois. 
« L’homme est un animal politique » en vertu de son pouvoir de langage, affirmait Aristote. L’homme est naturellement fait pour vivre dans la cité, avec des lois sociales qui tendent à privilégier le juste sur l’injuste, le bien sur le mal. Autrement dit atteindre « le souverain bien ». Le bonheur n’était donc pas une affaire personnelle mais collective.
Toutefois, l’histoire a montré les risques de la politique lorsqu’elle veut imposer le bonheur par la loi, elle peut faire le malheur.
De fait, le bonheur serait-il devenu une affaire uniquement personnelle ? Il semblerait que oui. Il est vrai que ce qui rend heureux est difficile à cerner. Le bonheur est relatif et varie en fonction de chacun. Et c’est cette variété qui ferait que mettre la règle, la loi serait difficile. Selon Alain Anziani, le bonheur ne s’administre pas et ne peut donc relever de la politique. La politique ne fait pas le bonheur, mais évite le malheur. Elle ne peut que mettre en place les conditions du bonheur et non donner le bonheur.

Daniel Picotin souscrit aux propos du sénateur et ne croit pas au bonheur d’Etat : si c’est un programme politique, on est dans l’utopie, l’hypocrisie, l’escroquerie. Et de rappeler les désillusions d’André Gide et de Boris Vian de retour d’URSS.
Les politiques assurent les conditions nécessaires mais pas suffisantes pour le bonheur. Il reste donc bien une notion individuelle. Sensible au bouddhisme, Daniel Picotin qui a mis fin à sa carrière d’homme politique jeune et de son plein gré, cite Matthieu Ricard : « La cause première du bonheur réside en notre esprit, alors que les circonstances extérieures ne constituent que des conditions adverses ou favorables ». C’est l’histoire de la « bouteille vide/bouteille pleine ». Le bonheur est donc bien individuel. En tant qu’homme politique, a-t-il apporté, contribué au bonheur des citoyens ? Daniel Picotin a été plus heureux dans ses mandats locaux à Saint-Ciers- sur-Gironde même si en tant que commissaire sur le projet de bracelet électronique, il a contribué à éviter le malheur de l’incarcération. Au parlement, il a refusé à plusieurs reprises de voter le budget de l’Etat car toujours en déficit. Il ne comprenait pas pourquoi l’Etat s’endettait avec le sentiment d’un Etat écrasant et irréformable. Son bonheur aujourd’hui est de ne plus faire de la politique. Localement, il a le sentiment d’avoir participé à une forme de bonheur de ses concitoyens.

In fine, le bonheur relève bien du domaine individuel. Et même l’adoption d’un nouvel indicateur de mesure « le Bonheur National Brut » n’y change rien selon Alain Anziani.
Le BNB est une tentative de définition du niveau de vie préconisée par le roi du Bhoutan en 1972. Cet indice repose sur 4 principes : croissance et développement économique, conservation et promotion de la culture, sauvegarde de l’environnement et utilisation durable des ressources, bonne gouvernance responsable. Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Economie reprend cette notion (rapport commission 2009). Cet indicateur reste néanmoins politique : dans ce classement, figurent en tête de liste tous les pays riches ! De là en conclure que le bonheur c’est la richesse, il n’y a qu’un pas…Hypocrisie encore ? On est loin de la définition du roi du Bhoutan.

Très justement, le débat riche, a amené à revenir sur la devise fondatrice de notre république démocratique, « Liberté, Egalité, Fraternité », garantie intrinsèque de notre bonheur et bien mise à mal. Par la loi, l’Etat s’engage à assurer la liberté et l’égalité qui permettent les conditions du bonheur du « démos ». Qu’en est-il de la fraternité ? De l’avis commun d’Alain Anziani et Daniel Picotin, on ne peut pas légiférer sur la fraternité. Cela explique-t-il Le désengagement de l’Etat, au gré des crises économiques, de l’action de solidarité financière auprès des associations ? Si on ne peut pas légiférer sur la fraternité, n’est-ce pas parce qu’elle est le sous-bassement, le fondement de la liberté et de l’égalité et qu’elle se place en même temps au-dessus? Oui, le bonheur est sans doute une disposition de l’esprit. Mais si le bonheur collectif n’est pas une affaire de la politique, qu’advient-il du bonheur individuel ? Peut-on être heureux seul ?
La fraternité est l’affaire de tous. Sans elle, pas de liberté et d’égalité possibles, pas de bonheur ni individuel, ni collectif possibles.


Sylvie Lacoste

Article paru dans le journal de l'ERbdx de Décembre 2011