mercredi 3 novembre 2010

"Nous sommes tous des tricheurs". (*)

Compte-rendu de la conférence (Hâ 32) de Yvon Pesqueux, professeur titulaire au CNAM de la Chaire Développement des Systèmes d'Organisation: "Tricher, jouer avec les régles".

Dans nos esprits, la triche relève plus du délit que de la reconnaissance. Et pourtant, elle touche toute l'activité humaine. Cela commence avec nos jeux d'enfants: on triche avec les règles...du jeu. Jeux de hasard, dans le sport, dans la religion, dans la politique...La liste n'est pas exhaustive.

L'axe choisi par Y.Pesqueux est la triche dans les affaires. Comment fait-on pour vivre dans une société qui émet des valeurs et qui au nom de l'économie détourne ces mêmes valeurs ?
Aucune révélation croustillante ni fracassante. Le sujet est très sérieux. L'approche de la question est démoralisée, ni amorale, ni immorale, pas de jugement de valeur.

La triche nécessite trois paramètres: une personne - un milieu - des circonstances.
Tricher, c'est élaborer une manoeuvre rusée. Tricher, c'est changer les règles du jeu. Et pour que le jeu existe, il faut une marge de manoeuvre et qui dit manoeuvre dit triche. Autrement dit, c'est amener quelqu'un à agir contre sa volonté et ses intérêts par sa propre volonté et pour ses propres intérêts. La triche est un acte conscient. Responsable ou irresponsable, cela dépend des circonstances (et là, nous entrons dans le jugement de valeur !).

La triche, dans la "pratique des affaires" (comme dans d'autres domaines) n'est pas une "mauvaise" chose. Au contraire, selon Y.Pesqueux, l'évolution des règles passe par la triche et ouvre sur l'innovation: le post-it (la colle qui ne colle pas !) a été inventé parce que son auteur a détourné "la colle qui colle" chez 3M pour des besoins pratiques ! Et aujourd'hui, la crise financière/bancaire qui a pour origine une grande partie de triche, ouvre a priori sur de nouvelles règles du système.

La triche est indispensable. Elle est un processus de transformation sociale et politique. Comment est-ce acceptable ? La triche n'est pas un problème en soi. Le problème se situe à ses frontières: pas vu, pas pris, c'est de la triche; vu, pris, c'est une faute, c'est de la fraude. Là, la triche devient une déviance et relève de la justice.

Aujourd'hui, l'économique recouvre le politique. Depuis le début des années 1980, nous sommes dans un "moment libéral", dans le "vivre avec" par opposition au "vivre dans" où la loi, la légitimité prévalait du fait de l'intervention de l'Etat. Aujourd'hui, dans le "vivre avec" et donc dépourvu de toute représentativité, l'individu (ou tel groupe social) doit être autonome, honnête et efficace: pour réussir individuellement ("la réussite matérielle est un critère de vérité"), pour réussir collectivement (être plus fort que la concurrence).

Indubitablement, la triche est un outil indispensable. Elle s'impose. Elle légitime la compétition. Elle est banale.

Voilà pourquoi nous pouvons vivre dans une société qui émet des valeurs mais qui au nom de l'économie détourne ces mêmes valeurs, au nom de la réussite matérielle, ici et maintenant. Et là, jugement de valeur il y a.

Pourtant l'idée fondamentale chez Yvon Pesqueux est que dans son approche démoralisée, "la triche est un facteur d'apprentissage de la modification de la règle", "elle est une vertu paradoxalement éducative".

Sylvie Lacoste

(*) - Aricle publié dans le journal de l'ERF de Bordeaux.

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