mardi 2 novembre 2010

Jacques Ellul,: une vision chrétienne du monde.(1)

Mission délicate que de présenter la pensée de Jacques Ellul, résumée en quelques lignes. Certes, théologien de renom, il semble que son travail d'historien et de sociologue soit indissociable. Sa critique du système technicien, clé de voûte de son oeuvre, ne peut être mise à part de sa pensée théologique. Pour J.Ellul, en tant que chrétien, foi et vie sociale peuvent être mêlées.

La vision chrétiennne du monde selon Ellul n'est pas celle du christianisme tel que nous le connaissons.
Les oeuvres et réalisations du christianisme tout au long de son histoire, n'ont pas été ni totalement mauvaises ni complètement inutiles.Mais organisé, hierarchisé, institutionnalisé, ce christianisme-là est une religion organisée par l'homme et pour l'homme sur terre.
Pour Jacques Ellul, cela n'a rien à voir avec la foi chrétienne. D'autres religions, en d'autres lieux et en d'autres temps comme aujourd'hui, ont exercé leur influence parfois jusqu'à imposer leur dogme et devenir religion d'Etat. Comme l'a été le christianisme. Et dans ce monde qui manque de sens, combien cette question des religions est plus que jamais d'actualité.

Encore une fois, cela n'a rien à voir avec la foi. Cette foi chrétienne, dans laquelle Jacques Ellul puise ses convictions. A travers sa vision du monde, il donne au chrétien quelques clés pour mieux comprendre, mieux appréhender notre monde. Pour le chrétien, Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous et donc vivant à jamais. Dieu est venu à nous, son Royaume est bien là. La mission du chrétien est de maintenir ce monde en vie. Mais pas à n'importe quelle condition (pour cela, le Royaume de Dieu est à construire). Et le constat de Jacques Ellul est pessimiste. Le XXème siècle a vu la Technique se développer et s'ériger en système. Elle envahit notre vie. Elle l'imprègne tant, que nous ne sommes plus capables de vivre en dehors d'elle. Et ce n'est pas l'aube du XXIème siècle qui peut nous rassurer. Si la technique est utile (Ellul n'a jamais prétendu l'inverse), elle peut être maîtrisée par l'homme. Nous avons la possibilité de faire des choix mais souvent, ils se font dans un sens contraire à notre vie, et conduisent parfois à notre mort. Sans parler de l'état de guerre permanent aux quatre coins du monde, je suis sûre que chacun de nous, en prenant le temps de la réflexion, trouvera de nombreux exemples. Plus il semble que la technique nous subordonne à sa soi-disant nécessité, moins nous sommes aptes à être responsables de nos paroles aussi bien que de nos actes.

Et là réside le message d'espérance de Jacques Ellul. Dans sa foi "au prix du doute"(2), pour le meilleur et pour le pire, le chrétien peut vivre dans le monde. Il peut montrer qui il est, par sa parole et sa pratique à chaque instant de sa vie; vie spirituelle, vie privée, professionnelle (vie sociale en somme) peuvent ne faire qu'une. Le chrétien-laic est un acteur-témoin précieux. Mais il n'existe ni règles ni recettes miracles pour résoudre nos difficultés d'hommes. Chaque chrétien est responsable de ses oeuvres et de sa conscience (il ne s'agit aucunement des bonnes oeuvres qui donnent bonne conscience). Selon Ellul, la foi en Jésus-Christ peut nous permettre de découvrir les véritables difficultés spirituelles dans les situations politiques, économiques, sociales...de notre temps. En vivant et recevant l'Evangile, les problèmes de notre société ne peuvent être résolus. L'Ecriture peut être placée et expliquée dans le temps présent. Le monde qu'elle évoque, ressemble à celui dans lequel l'humanité vit aujourd'hui et peut-être celui de demain. Seulement et alors seulement, notre monde peut espérer être conservé et sauvé; ce monde, espace à habiter et temps à gérer. Telles sont les convictions de Jacques Ellul.

Bien sûr, les changements de cap de notre société auxquels nous aspirons tous,ne se feront pas de manière radicale et Dieu ne fera pas de miracles ! Mais Ellul, nous a laissé quelques outils pour essayer d'étayer notre réflexion, pour essayer de trouver et donner un sens à notre présence au monde moderne. Au hasard de mes lectures, j'ai retenu ceci : "Par conviction spirituelle, je ne suis pas seulement non-violent mais je suis pour la non-puissance; C e n'est sûrement pas une technique efficace (...). On ne peut créer une société libre avec des moyens d'esclaves. C'est pour moi le centre de ma pensée."(3)

Sylvie Lacoste.

Article publié dans le mensuel de l'ERF de Bordeaux.

(1) - Article écrit à la lecture de "Jacques Ellul,l'homme qui avait presque tout prévu" de Jean-Luc Porquet, éditions du Cherche-Midi, Paris 2003.
(2) - Jacques Ellul : "La foi au prix du doute", Hachette 1980.
(3) - Patrick Chastenet "Entretiens avec Jacques Ellul", La Table Ronde, Paris 1994;

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire