mercredi 20 octobre 2010

Les élites politiques à Bordeaux et en Gironde,de 1904 à 1914...*

...Ou panorama des élus de Bordeaux et de la Gironde à partir du "livre d'or mondain" du Sud-ouest: "l'Annuaire illustré du tout Sud-ouest" dit "le Féret" (Edouard Féret-1844/1909,célèbre éditeur bordelais encore aujourd'hui!).

L'année 1904 est la première année de parution;c'est une oeuvre de décentralisation artistique,littéraire et scientifique etc...

Les biographies sont riches d'enseignements.Elles sont cependant à manier avec précaution.Car si elles sont nombreuses,elles ne couvrent pas l'ensemble des mandats électoraux.Le nombre de maires inscrits est généralement faible;alors qu'on compte 711 communes de 1904 à 1914,jamais plus de 130 maires s'inscrivent (année 1907/1908).Tous les élus n'apparaissent pas et ceux qui y figurent,ont payé des droits.Cet annuaire n'est pas officiel.

De 1904 à 1914,les membres inscrits sont en majorité les mêmes.Si l'étude ne reflète pas la tendance générale de l'évolution du personnel politique,elle fournit néammoins de précieuses indications.

Il ne s'agit pas d'une étude purement politique.L'annuaire ne donne pas une image des tendances politiques et de leur évolution.

C'est un panorama sociologique des élus qui forment l'élite politique de Bordeaux et de la Gironde.

Le premier constat est celui d'une compression du personnel politique ainsi que sa relative stabilité.

L'élu est attaché à ses distinctions honorifiques;il met un point d'honneur à mettre au grand jour une partie de sa vie privée,la plus prestigieuse,celle qui légitime sa qualité de notable formant l'élite politique locale.

1- Qui sont les élites ?
a) leur nombre et leur évolution

De 1904 à 1914,le recensement des élus dans l'Annuaire fait état d'une évolution sensiblement marquée par une compression du nombre.

En 1905/1906,311 personnes sont inscrites dont 236 exercent au moins un mandat (soit 75,8%) : 83,4% ont un seul mandat,15,2% en ont deux et 1,2%, trois.On peut être à la fois maire et conseiller général comme Ernest Barraud (maire de Coutras),maire et conseiller d'arrondissement comme Léon Cazaux (maire de Langoiran),maire et conseiller général et député comme Romain Videau (maire de Castelnau-de-Médoc) etc...

En 1913/1914,les élus recensés sont au nombre de 214 et 173 remplissent au moins un mandat soit 80,8%.74,5% occupent un mandat,le pourcentage d'élus à deux et trois mandats augmente,respectivement 17,7% et 2,8%.

De 1904 à 1914,le nombre total d'élus inscrits dans l'Annuaire baisse en même temps que le pourcentage d'élus à un mandat.Parallèllement,le pourcentage d'élus à au moins deux charges augmente.Moins d'élus mais plus nombreux à accumuler les mandats...Et toujours les mêmes élus...
Compression et stabilité semblent être la règle.

b)répartition des mandats en chiffre

Ne sont pas pris en compte les conseillers municipaux et les adjoints aux maires car ils sont trop peu nombreux.Quelque exception comme Maxime Chasseloup,adjoint au maire de Blaye en1904 puis maire en 1905/1906...
Les conseillers d'arrondissements,les maires,les conseillers généraux,les députés et enfin les sénateurs mettent un point d'honneur à paraître dans "le livre d'or"!
Députés et sénateurs s'inscrivent en masse!
Alors que conseillers généraux,députés et sénateurs s'inscrivent en plus grand nombre à partir de 1907/1908,conseillers d'arrondissements et maires ne sont pas des adeptes et la tendance est constamment à la baisse de 1904 à 1914.Les maires ne représentent que 15 à 18% des inscrits sur toute la période.

2- Honneurs et prestige social.
a)distinctions honorifiques

Légion d'honneur,distinction du Mérite agricole,de l'Instruction publique ou d'un ordre étranger confèrent aux "décorés" une légitimité encore plus méritée.En 1914,plus de la moitié des élus mentionnent leurs récompenses.
Les biens immobiliers,les études,la réussite sociale de leur progéniture complètent le tableau.

b)"République des avocats" et "aristocratie du bouchon"

En 1904,les élus inscrits dans l'Annuaire exercent pour 32% une profession dans le domaine de la justice:15 sont avocats;les autres sont notaires,avoués...37% des professions concernent le monde agricole:propriétaires-viticulteurs et surtout négociants en grand nombre.
En 1909/1910,le schéma est à peu près identique malgré une légère baisse des deux professions:26,9% pour les métiers de la justice (10 avocats) et 34,6% dans l'agriculture avec toujours une majorité de négociants en vin.
Le milieu industriel a sa place (Saint Marc / Maurel etc...), celui de la banque aussi bien que faiblement représenté.
Tout au long de la période,les professions libérales tendent à prendre de l'importance:3 médecins en 1904 mais 7 en 1909/1910.
Par contre le milieu des Lettres est quasi absent:un professeur d'histoire du Lycée de Bordeaux en 1904, un professeur de la faculté des Lettres en 1904 et toujours mandaté en 1909/1910.

3- Vie privée.
a)résidence principale et secondaire

En 1904, 35,6% des inscrits ont leur résidence principale à Bordeaux; 26,9% ont une résidence secondaire, 6,9% ont plus d'une résidence secondaire!Ce sont généralement des châteaux,des domaines souvent viticoles.
En 1909/1910 parmi les inscrits, 21,2% ont leur résidence principale à Bordeaux et 17,5%, une résidence secondaire mais 8,4% ont plus d'une résidence secondaire!
Quelques élus ont leur résidence principale à Paris et un pied-à-terre à Bordeaux/Gironde:ce sont les députés et sénateurs.

b)la famille

Tous ne donnent pas d'informations sur leur famille;les plus discrets ne mentionnent rien,certains ne mettent que le nombre et le sexe de leurs enfants;on parle peu des épouses.
D'une manière générale,le nombre,la profession et le prénom des enfants figurent dans la biographie.Les prénoms de garçons sont systématiquement inscrits,rarement celui des filles;alors que les belles-filles ont souvent cet honneur,surtout si elles sont de bonne famille!Les garçons font des études:en droit,en médecine,dans l'armée ou la fonction publique.Le nombre d'enfant par famille est en moyenne de deux,rarement trois.
En 1904: J.Bussier,vice-président du comice agricole de Libourne,conseiler d'arrondissement:"Théo et une fille,mariée à Monsieur Ducourt à Libourne.Il est un des viticulteurs les plus distingués de la Gironde.Il possède en outre du vignoble à Saint Michel de Fronsac"; J.Bussier possède lui-même un château à Saint Michel de Fronsac!

L'élite politique bordelaise et girondine,de 1904 à 1914,est fortunée,essentiellement d'origine terrienne;élite économique,elle reste hermétique à l'élite intellectuelle.
Elle reflète,à l'échelle locale,la sociologie de l'élite politique au niveau national.

*Travail de vacation pour le CNRS,1990,sous la direction de Monsieur Bernard Lachaise,Université de Bordeaux III.

mardi 19 octobre 2010

Les visites officielles des présidents de la République, du Conseil et des ministres,à Bordeaux et en Gironde,de 1919 à 1940: extraits *.

L'histoire des régimes politiques,quelque que soit leur nature,est née d'un besoin pour ces régimes d'être légitimés.Ainsi naît la propagande.
Les outils utilisés sont divers et variés selon les régimes,selon les époques.Les visites officielles des hommes d'Etat en sont un excellent exemple.
Avec "Les visites officielles des présidents de la République,du Conseil et des ministres,à Bordeaux et en Gironde,de 1919 à 1940",nous abordons un exemple de propagande officielle sous la Troisième République française.

En 1919,la France sort à peine du premier conflit mondial et s'engage dans la reconstruction du pays avec deux handicaps:de lourdes pertes humaines et une crise monétaire.
Dans le camp des vainqueurs,elle entend faire payer les responsables de sa ruine;le début des années 1920 est consacré à obtenir de la part de l'Allemagne de conséquentes réparations.
Peu soutenue par ses anciens alliés (Etats-Unis/Royaume-Uni),elle réussit à mener à bout sa reconstruction dans les années 1924/25 et à retrouver un équilibre monétaire grâce à la rigoureuse politique de Poincaré.
Engagée dans un nouveau système économique mondialisé,dont elle comprend encore mal les mécanismes,la France s'enferme dans un monde d'illusions:illusions monétaires,de sa puissance,de sa sécurité;elle va avoir beaucoup de mal à s'en sortir.Il faut la défaite de Juin 1940 et la fin de la IIIème République pour prendre la mesure de ses erreurs...

De 1919 à 1940,autour du président,symbole vivant de la République se cristallise et tente de se réaliser une union nationale.Les élus nationaux et locaux deviennent de véritables émissaires.
Les visites officielles des hommes d'Etat français,à Bordeaux et en Gironde de 1919 à 1940 en témoignent...

Ces visites permettent de saisir l'atmosphère de la vie politique bordelaise et girondine dans l'Entre-deux-Guerres.Elles sont le reflet de la vie politique française.
Si dans leur forme,elles s'apparentent à celles de la Monarchie,les visites officielles de la République ont une vertu éducative.Elles sont utiles:elles permettent d'expliquer,d'obtenir l'adhésion à la politique gouvernementale.Elles sont une prise de risque:les manifestations de mécontentement sont un excellent baromètre;les élus peuvent être chahutés,contestés,critiqués,discrédités.Et le président de la République n'est pas épargné...

In fine,les visites officielles des hommes d'Etat français ne sont jamais contestées et semblent indispensables à l'exercice du pouvoir.Travail sur le terrain,ouvertes à toutes les critiques,elles sont inhérentes au bon fonctionnement de la démocratie,au respect de la République,de 1919 à 1940...

Sylvie Lacoste

*travail de mémoire de Maîtrise /D.E.A et projet de thèse de doctorat (élargi à la période 1800 à 1945) de Sylvie Lacoste,sous la direction de Monsieur Marc Agostino,Université de Bordeaux III.
*ce travail est référencé dans "Persée:portail de revues en sciences humaines";"Revue française de science politique-année 1992-vol 42-n°3-p.533.