vendredi 3 décembre 2010

"Des robots qui apprennent comme des enfants en jouant..." ou comment rendre un robot curieux (*).

Mais qui a eu cette idée folle??!!! Non ce n'est pas Charlemagne!

Pierre-Yves Oudeyer est venu partager un peu de science avec le grand public et je peux vous assurer qu'il doit bien s'amuser!
Diplômé de l'ENS de Lyon, il s'intéresse à la question du langage chez les robots.
Un robot peut-il apprendre comme un enfant?
Difficile d'y croire. Avec la robotique développementale et sociale, c'est possible. Oui cela existe!

A Bordeaux depuis trois ans, P-Y Oudeyer est responsable de l'équipe qui travaille sur le projet "Flowers" à l'INRIA (**).
L'objectif central est de construire une machine, un robot capable d'apprendre par lui-même, par l'intermédiaire des humains comme "Monsieur Tout Le Monde".
Pas comme nos bonnes vieilles machines à laver en tout genre qui sont bien des robots mais sans cerveau!

Comment y arriver? En s'inspirant d'un enfant, de sa manière d'apprendre. P-Y Oudeyer fait appel pour ce faire à d'autres sciences que celle des mathématiques appliquées: psychologie développementale, la linguistique et les neurosciences.

Qu'est-ce qu'un robot? C'est une machine dotée de capteurs qui lui permettent de percevoir son environnement, de moteurs qui lui permettent de bouger et d'agir sur ce même environnement et d'un système électronique, informatique qui contrôle ce que fait le robot en fonction de ce qu'il perçoit.

Sacré défit que de transformer le "langage/verbe" humain en modèles mathématiques et les intégrer dans un robot pour lui apprendre à parler, à interagir avec les autres, à utiliser son corps pour manipuler des objets, à apprendre à contrôler son corps inconnu et changeant! Sans que le scientifique-créateur lui donne tous les outils! Laisser au robot une part de curiosité et donc de créativité.

L'enfant apprend et étend ses capacités par l'inné et l'acquis mais un problème se pose: celui de la contrainte du temps et de l'espace. Un enfant n'arrive pas tout à apprendre ne serait-ce que par manque de temps: être sportif de haut niveau, çà se travaille! Et bien il en va de même pour le robot.
D'où le défit central pour P-Y Oudeyer et son équipe: comprendre et trouver les équilibres entre les contraintes innées et les mécanismes de plasticité du robot.

En linguistique cognitive, ce qui est important pour un cerveau c'est ce qu'on peut faire avec les objets, quel est leur sens; il faut donc apprendre à manipuler ces objets par l'exploration.
Le scientifique va ainsi accompagner le robot dans son apprentissage, va susciter son attention, va éveiller sa curiosité, son plaisir: démonstration/imitation.

Et comment? Par le jeu!!!!
Dans quel but? "Humaniser les machines plutôt que machiniser les hommes" afin de développer les technologies d'assistance et d'accompagnement de la personne.

Un constat: ces robots s'humanisent, se naturalisent effectivement...des chiens, un petit d'homme...pour ma part cela m'interpelle d'autant que si vous vous souvenez l'idée des ingénieurs est de rendre possible par leur non-intervention technique une part de créativité donc une part d'initiative à ces machines...Et si elles dépassaient toutes les espérances et si l'homme ne pouvait plus les maîtriser ??? Science-fiction ou pas ???

Je vous invite à consulter deux sites, certes en anglais,
mais des vidéos très amusantes!

Sylvie Lacoste

(*) Article publié dans le journal de l'ERF.

(**)INRIA: Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique

mercredi 3 novembre 2010

"Nous sommes tous des tricheurs". (*)

Compte-rendu de la conférence (Hâ 32) de Yvon Pesqueux, professeur titulaire au CNAM de la Chaire Développement des Systèmes d'Organisation: "Tricher, jouer avec les régles".

Dans nos esprits, la triche relève plus du délit que de la reconnaissance. Et pourtant, elle touche toute l'activité humaine. Cela commence avec nos jeux d'enfants: on triche avec les règles...du jeu. Jeux de hasard, dans le sport, dans la religion, dans la politique...La liste n'est pas exhaustive.

L'axe choisi par Y.Pesqueux est la triche dans les affaires. Comment fait-on pour vivre dans une société qui émet des valeurs et qui au nom de l'économie détourne ces mêmes valeurs ?
Aucune révélation croustillante ni fracassante. Le sujet est très sérieux. L'approche de la question est démoralisée, ni amorale, ni immorale, pas de jugement de valeur.

La triche nécessite trois paramètres: une personne - un milieu - des circonstances.
Tricher, c'est élaborer une manoeuvre rusée. Tricher, c'est changer les règles du jeu. Et pour que le jeu existe, il faut une marge de manoeuvre et qui dit manoeuvre dit triche. Autrement dit, c'est amener quelqu'un à agir contre sa volonté et ses intérêts par sa propre volonté et pour ses propres intérêts. La triche est un acte conscient. Responsable ou irresponsable, cela dépend des circonstances (et là, nous entrons dans le jugement de valeur !).

La triche, dans la "pratique des affaires" (comme dans d'autres domaines) n'est pas une "mauvaise" chose. Au contraire, selon Y.Pesqueux, l'évolution des règles passe par la triche et ouvre sur l'innovation: le post-it (la colle qui ne colle pas !) a été inventé parce que son auteur a détourné "la colle qui colle" chez 3M pour des besoins pratiques ! Et aujourd'hui, la crise financière/bancaire qui a pour origine une grande partie de triche, ouvre a priori sur de nouvelles règles du système.

La triche est indispensable. Elle est un processus de transformation sociale et politique. Comment est-ce acceptable ? La triche n'est pas un problème en soi. Le problème se situe à ses frontières: pas vu, pas pris, c'est de la triche; vu, pris, c'est une faute, c'est de la fraude. Là, la triche devient une déviance et relève de la justice.

Aujourd'hui, l'économique recouvre le politique. Depuis le début des années 1980, nous sommes dans un "moment libéral", dans le "vivre avec" par opposition au "vivre dans" où la loi, la légitimité prévalait du fait de l'intervention de l'Etat. Aujourd'hui, dans le "vivre avec" et donc dépourvu de toute représentativité, l'individu (ou tel groupe social) doit être autonome, honnête et efficace: pour réussir individuellement ("la réussite matérielle est un critère de vérité"), pour réussir collectivement (être plus fort que la concurrence).

Indubitablement, la triche est un outil indispensable. Elle s'impose. Elle légitime la compétition. Elle est banale.

Voilà pourquoi nous pouvons vivre dans une société qui émet des valeurs mais qui au nom de l'économie détourne ces mêmes valeurs, au nom de la réussite matérielle, ici et maintenant. Et là, jugement de valeur il y a.

Pourtant l'idée fondamentale chez Yvon Pesqueux est que dans son approche démoralisée, "la triche est un facteur d'apprentissage de la modification de la règle", "elle est une vertu paradoxalement éducative".

Sylvie Lacoste

(*) - Aricle publié dans le journal de l'ERF de Bordeaux.

Prospective et politique publique. (*)

Compte-rendu de la conférence (Hâ 32) de Bruno Hérault, sociologue, chargé de mission au Commissariat Général au plan.

Par l'étude des diverses causalités en jeu, la prospective, science récente, est la prise en compte de l'avenir dans les décisions du présent.
De 1945 aux années 1980, en France, l'Etat centralisé est tout puissant dans les prises de décisions: il planifie.On reconstruit le pays, on ne réfléchit pas à l'avenir, l'essentiel étant l'activisme.
Dès les années 1960, la société se fragmente en de multiples groupes sociaux: féministes, étudiants, écologistes...Les valeurs changent, on entre dans une période de doutes. On commence à évaluer les besoins avant de planifier: ce sont les prémices de la prospective.
En 1996, le premier ministre de l'époque ne présente pas le Plan au Parlement: ce sera le dernier.

Aujourd'hui, la société n'est plus de classes ni de strates; elle est composée de multiples groupes d'individus avec chacun leurs intérêts particuliers.
Paradoxalement, les élus continuent de prendre et d'appliquer des décisions d'intérêt général. Ils restent des techniciens de la décision, bonne ou mauvaise, appliquée ou pas, sans forcément correspondre aux besoins de la société.

Mais notre temps est différent; il est plus long, nous vivons plus vieux. Par conséquent, l'anticipation des futurs possibles implique la participation d'un grand nombre d'acteurs, porteurs d'intérêts différents.

La prospective ne peut être utile que si elle contribue au débat public, à la concertation sociale et par conséquent à l'élaboration de la politique publique.

Sylvie Lacoste.

(*) Article publié dans le journal de l'ERF de Bordeaux.

Avenir de l'homme et responsabilité de la science. (*)

Compte-rendu de la conférence (Hâ 32) de Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien, directeur de recherche au CNRS.

La science est en crise dans la société française. Outre le manque de finances, la science ne se pose pas comme responsable de ses recherches, de ses découvertes et de ses applications. Elle est neutre face aux décisions des élus politiques. Parce que la société "récolte" les effets de la science et de son corollaire (la technique), les chercheurs doivent prendre leurs responsabilités vis-à-vis de cette même société: on parle de principe de précaution. L'essor des nouvelles technologies dites NBIC (biotechnologie, nanotechnologie etc...) rendent urgent cet engagement. Que peut on se dire lorsqu'on apprend que pour pallier les défauts de la nature et donc pour l'améliorer, on peut désormais en créer une, aritficielle celle-là. Comment calculer, prévenir les multiples effets ? Comment se projeter dans l'avenir ?

Sylvie Lacoste.

(*) Article publié dans le journal de l'ERF de Bordeaux.

Le point de vue de Jacques Ellul sur ... la crise. (*)

Une crise économique, déclinable à l'infini, à laquelle il faut ajouter une crise de la science (les scientifiques n'ont plus beaucoup de certitudes) et une crise des valeurs. Cette dernière est essentielle pour Ellul et là encore, déclinable à l'infini. Ces crises se complètent, s'entrecroisent et se mêlent pour ne former plus qu' "une crise totale de civilisation":
- cette crise set globale: au niveau psycho-moral-intellectuel, au niveau institutionnel-politique, au niveau économique-technique. Son étude est au coeur même de l'ensemble de l'oeuvre de J.Ellul.
- cette crise est mondiale: les différents facteurs de cette crise s'interpénètrent, essaiment et ont des ramifications sur l'ensemble de la planète.

Plusieurs orientations possibles selon Ellul à partir d'un constat simple du "Small is beautiful" ou "tout ce qui est humble, petit, modeste est beau", en lieu et place de la convoitise dans tous les domaines de notre vie; cela implique de nouveaux choix de valeurs. Les ingrédients:
- le courage: du dévouement, du sacrifice de tout un chacun qui exerce une responsabilité.
- la lucidité: prendre conscience de la nécessité absolue et urgente de nouveaux choix. Là s'exerce notre libre-arbitre.
- l'austérité "justement répartie": un juste et mesuré partage des richesses ouvrant la voie à de nouvelles normes économiques.

Pessimiste Jacques Ellul ? Pas le moins du monde.
"Les chrétiens devraient donner l'exemple en tant que personnes lucides, responsables, capables d'austérité et de privations, et remplies de courage". Sont-ils plus forts que les autres ? Non. Ont-ils des solutions miracles ? Non.
Ils ont un point d'appui, une béquille: Dieu. Parce qu'il n'est pas en dehors et au-delà du monde; parce que par nature "il est situé hors du tourbillon des drames de ce monde".
Cette espérance, Jacques Ellul en fait une orientation fondamentale pour résoudre la crise de société.

Sylvie Lacoste.

Article paru dans le journal de l'ERF de Bordeaux, d'après l'article de Jacques Ellul "Crise de société et espérance chrétienne".

Jacques Ellul: dix ans après sa disparition,quelle actualité pour son message.(1)

Compte-rendu de la conférence au Hâ 32 animé par le pasteur Olivier Pigeaud et le philosophe Olivier Abel.

Olivier Pigeaud a envisagé la question à travers les études bibliques dirigées par J.Ellul. Rien d'étonnant puisqu'elles peuvent être comptées par centaine et qu'elles touchaient un public varié.
A l'aide d'enregistrements précieusement conservés et quelques textes choisis, O.Pigeaud a fait une synthèse intéressante en soulignant l'aspect pédagogique de ces études.
Trois questions ont été retenues:

- L'universalisme du salut: le salut de Dieu est pour tous, pour l'humanité, pour le cosmos. On est élu parce que nous avons une fonction pour être serviteur et non supérieur.

- Le non-interventionnisme de Dieu: Dieu ne nous traite pas comme des marionnettes et malgré sa toute puissance, il se révèle dans une non-puissance volontaire, acte ou non-acte qui parfois entraîne le désespoir du croyant.

- Le système technicien: cette technique qui est médiatrice de tout, alors qu'elle-même n'est rien. C'est un système qui s'auto-justifie.

Avec l'universalisme du salut, notre responsabilité est engagée vis-à-vis de nous-même, des autres; elle est aussi engagée face au cosmos et son équilibre. Nous pouvons alors penser aux questions écologiques qui se posent à nous, en grand nombre.
Quand à la non-puissance de Dieu, nous ne pouvons que la reconnaître et l'accepter car Dieu ne peut rien contre l'homme, il ne peut que le sauver.
Et enfin, J.Ellul s'oppose à tout type de système pas seulement technicien car de de telles structures portent en elles les germes de totalitarismes en tout genre. (2)

Mais J.Ellul demeure un penseur de l'espérance.

C'est ce que Olivier Abel nous a rappelé dans un second temps.
Selon lui, le constat social fait par Ellul, à travers l'ensemble de son oeuvre, semble réaliste autant que pessimiste.
Notre société occidentale construite en systèmes "déréalise" le monde. Déclinés en de mulitiples croyances, pourtant nécessaires au fonctionnement même d'une société, ils simulent et dissimulent la réalité que l'homme a du mal à supporter. Parfois devenus de véritables religions, ils instaurent le mensonge.
De fait, ces systèmes sont destructeurs et vont à l'encontre de la conservation du monde. Comment renverser cet état de fait? (J.Ellul pense même nécessaire une révolution!). Quelle action entreprendre? Certes l'homme moderne est très acitf!
O.Abel a insisté sur un point: pour Ellul, le chrétien peut trouver une aide précieuse, une issue dans la prière. C'est agir mais cet acte est de foi et il semble indissociable de la parole. Par la prière donc par la parole, le chrétien peut établir (voire rétablir) la communication entre les hommes. Par la prière, l'intervention de Dieu est alors possible.

Un exemple (3):
contre Hitler, la voie des armes a été privilégiée face à l'échec des négociations et donc de la parole. Les nations menacées et attaquées se sont défendues à grand renfort de matériel militaire hautement perfectionné.
Elles sont sorties victorieuses, mais techniquement ! Pour Ellul, elles ont perdu spirituellement, donnant ainsi naissance à de mulitples petits ou grands "Hitler"! Si nous avions cru à la force de la prière, peut-être en eû-il été autrement.

Sylvie Lacoste.

(1) - journal de l'ERF de Bordeaux
(2) - "Le livre de Jonas" (1957) / "La raison d'être" (1987), J.Ellul
(3) - "Présence au monde moderne" (1988), J.Ellul

mardi 2 novembre 2010

Jacques Ellul,: une vision chrétienne du monde.(1)

Mission délicate que de présenter la pensée de Jacques Ellul, résumée en quelques lignes. Certes, théologien de renom, il semble que son travail d'historien et de sociologue soit indissociable. Sa critique du système technicien, clé de voûte de son oeuvre, ne peut être mise à part de sa pensée théologique. Pour J.Ellul, en tant que chrétien, foi et vie sociale peuvent être mêlées.

La vision chrétiennne du monde selon Ellul n'est pas celle du christianisme tel que nous le connaissons.
Les oeuvres et réalisations du christianisme tout au long de son histoire, n'ont pas été ni totalement mauvaises ni complètement inutiles.Mais organisé, hierarchisé, institutionnalisé, ce christianisme-là est une religion organisée par l'homme et pour l'homme sur terre.
Pour Jacques Ellul, cela n'a rien à voir avec la foi chrétienne. D'autres religions, en d'autres lieux et en d'autres temps comme aujourd'hui, ont exercé leur influence parfois jusqu'à imposer leur dogme et devenir religion d'Etat. Comme l'a été le christianisme. Et dans ce monde qui manque de sens, combien cette question des religions est plus que jamais d'actualité.

Encore une fois, cela n'a rien à voir avec la foi. Cette foi chrétienne, dans laquelle Jacques Ellul puise ses convictions. A travers sa vision du monde, il donne au chrétien quelques clés pour mieux comprendre, mieux appréhender notre monde. Pour le chrétien, Jésus-Christ est mort et ressuscité pour nous et donc vivant à jamais. Dieu est venu à nous, son Royaume est bien là. La mission du chrétien est de maintenir ce monde en vie. Mais pas à n'importe quelle condition (pour cela, le Royaume de Dieu est à construire). Et le constat de Jacques Ellul est pessimiste. Le XXème siècle a vu la Technique se développer et s'ériger en système. Elle envahit notre vie. Elle l'imprègne tant, que nous ne sommes plus capables de vivre en dehors d'elle. Et ce n'est pas l'aube du XXIème siècle qui peut nous rassurer. Si la technique est utile (Ellul n'a jamais prétendu l'inverse), elle peut être maîtrisée par l'homme. Nous avons la possibilité de faire des choix mais souvent, ils se font dans un sens contraire à notre vie, et conduisent parfois à notre mort. Sans parler de l'état de guerre permanent aux quatre coins du monde, je suis sûre que chacun de nous, en prenant le temps de la réflexion, trouvera de nombreux exemples. Plus il semble que la technique nous subordonne à sa soi-disant nécessité, moins nous sommes aptes à être responsables de nos paroles aussi bien que de nos actes.

Et là réside le message d'espérance de Jacques Ellul. Dans sa foi "au prix du doute"(2), pour le meilleur et pour le pire, le chrétien peut vivre dans le monde. Il peut montrer qui il est, par sa parole et sa pratique à chaque instant de sa vie; vie spirituelle, vie privée, professionnelle (vie sociale en somme) peuvent ne faire qu'une. Le chrétien-laic est un acteur-témoin précieux. Mais il n'existe ni règles ni recettes miracles pour résoudre nos difficultés d'hommes. Chaque chrétien est responsable de ses oeuvres et de sa conscience (il ne s'agit aucunement des bonnes oeuvres qui donnent bonne conscience). Selon Ellul, la foi en Jésus-Christ peut nous permettre de découvrir les véritables difficultés spirituelles dans les situations politiques, économiques, sociales...de notre temps. En vivant et recevant l'Evangile, les problèmes de notre société ne peuvent être résolus. L'Ecriture peut être placée et expliquée dans le temps présent. Le monde qu'elle évoque, ressemble à celui dans lequel l'humanité vit aujourd'hui et peut-être celui de demain. Seulement et alors seulement, notre monde peut espérer être conservé et sauvé; ce monde, espace à habiter et temps à gérer. Telles sont les convictions de Jacques Ellul.

Bien sûr, les changements de cap de notre société auxquels nous aspirons tous,ne se feront pas de manière radicale et Dieu ne fera pas de miracles ! Mais Ellul, nous a laissé quelques outils pour essayer d'étayer notre réflexion, pour essayer de trouver et donner un sens à notre présence au monde moderne. Au hasard de mes lectures, j'ai retenu ceci : "Par conviction spirituelle, je ne suis pas seulement non-violent mais je suis pour la non-puissance; C e n'est sûrement pas une technique efficace (...). On ne peut créer une société libre avec des moyens d'esclaves. C'est pour moi le centre de ma pensée."(3)

Sylvie Lacoste.

Article publié dans le mensuel de l'ERF de Bordeaux.

(1) - Article écrit à la lecture de "Jacques Ellul,l'homme qui avait presque tout prévu" de Jean-Luc Porquet, éditions du Cherche-Midi, Paris 2003.
(2) - Jacques Ellul : "La foi au prix du doute", Hachette 1980.
(3) - Patrick Chastenet "Entretiens avec Jacques Ellul", La Table Ronde, Paris 1994;

mercredi 20 octobre 2010

Les élites politiques à Bordeaux et en Gironde,de 1904 à 1914...*

...Ou panorama des élus de Bordeaux et de la Gironde à partir du "livre d'or mondain" du Sud-ouest: "l'Annuaire illustré du tout Sud-ouest" dit "le Féret" (Edouard Féret-1844/1909,célèbre éditeur bordelais encore aujourd'hui!).

L'année 1904 est la première année de parution;c'est une oeuvre de décentralisation artistique,littéraire et scientifique etc...

Les biographies sont riches d'enseignements.Elles sont cependant à manier avec précaution.Car si elles sont nombreuses,elles ne couvrent pas l'ensemble des mandats électoraux.Le nombre de maires inscrits est généralement faible;alors qu'on compte 711 communes de 1904 à 1914,jamais plus de 130 maires s'inscrivent (année 1907/1908).Tous les élus n'apparaissent pas et ceux qui y figurent,ont payé des droits.Cet annuaire n'est pas officiel.

De 1904 à 1914,les membres inscrits sont en majorité les mêmes.Si l'étude ne reflète pas la tendance générale de l'évolution du personnel politique,elle fournit néammoins de précieuses indications.

Il ne s'agit pas d'une étude purement politique.L'annuaire ne donne pas une image des tendances politiques et de leur évolution.

C'est un panorama sociologique des élus qui forment l'élite politique de Bordeaux et de la Gironde.

Le premier constat est celui d'une compression du personnel politique ainsi que sa relative stabilité.

L'élu est attaché à ses distinctions honorifiques;il met un point d'honneur à mettre au grand jour une partie de sa vie privée,la plus prestigieuse,celle qui légitime sa qualité de notable formant l'élite politique locale.

1- Qui sont les élites ?
a) leur nombre et leur évolution

De 1904 à 1914,le recensement des élus dans l'Annuaire fait état d'une évolution sensiblement marquée par une compression du nombre.

En 1905/1906,311 personnes sont inscrites dont 236 exercent au moins un mandat (soit 75,8%) : 83,4% ont un seul mandat,15,2% en ont deux et 1,2%, trois.On peut être à la fois maire et conseiller général comme Ernest Barraud (maire de Coutras),maire et conseiller d'arrondissement comme Léon Cazaux (maire de Langoiran),maire et conseiller général et député comme Romain Videau (maire de Castelnau-de-Médoc) etc...

En 1913/1914,les élus recensés sont au nombre de 214 et 173 remplissent au moins un mandat soit 80,8%.74,5% occupent un mandat,le pourcentage d'élus à deux et trois mandats augmente,respectivement 17,7% et 2,8%.

De 1904 à 1914,le nombre total d'élus inscrits dans l'Annuaire baisse en même temps que le pourcentage d'élus à un mandat.Parallèllement,le pourcentage d'élus à au moins deux charges augmente.Moins d'élus mais plus nombreux à accumuler les mandats...Et toujours les mêmes élus...
Compression et stabilité semblent être la règle.

b)répartition des mandats en chiffre

Ne sont pas pris en compte les conseillers municipaux et les adjoints aux maires car ils sont trop peu nombreux.Quelque exception comme Maxime Chasseloup,adjoint au maire de Blaye en1904 puis maire en 1905/1906...
Les conseillers d'arrondissements,les maires,les conseillers généraux,les députés et enfin les sénateurs mettent un point d'honneur à paraître dans "le livre d'or"!
Députés et sénateurs s'inscrivent en masse!
Alors que conseillers généraux,députés et sénateurs s'inscrivent en plus grand nombre à partir de 1907/1908,conseillers d'arrondissements et maires ne sont pas des adeptes et la tendance est constamment à la baisse de 1904 à 1914.Les maires ne représentent que 15 à 18% des inscrits sur toute la période.

2- Honneurs et prestige social.
a)distinctions honorifiques

Légion d'honneur,distinction du Mérite agricole,de l'Instruction publique ou d'un ordre étranger confèrent aux "décorés" une légitimité encore plus méritée.En 1914,plus de la moitié des élus mentionnent leurs récompenses.
Les biens immobiliers,les études,la réussite sociale de leur progéniture complètent le tableau.

b)"République des avocats" et "aristocratie du bouchon"

En 1904,les élus inscrits dans l'Annuaire exercent pour 32% une profession dans le domaine de la justice:15 sont avocats;les autres sont notaires,avoués...37% des professions concernent le monde agricole:propriétaires-viticulteurs et surtout négociants en grand nombre.
En 1909/1910,le schéma est à peu près identique malgré une légère baisse des deux professions:26,9% pour les métiers de la justice (10 avocats) et 34,6% dans l'agriculture avec toujours une majorité de négociants en vin.
Le milieu industriel a sa place (Saint Marc / Maurel etc...), celui de la banque aussi bien que faiblement représenté.
Tout au long de la période,les professions libérales tendent à prendre de l'importance:3 médecins en 1904 mais 7 en 1909/1910.
Par contre le milieu des Lettres est quasi absent:un professeur d'histoire du Lycée de Bordeaux en 1904, un professeur de la faculté des Lettres en 1904 et toujours mandaté en 1909/1910.

3- Vie privée.
a)résidence principale et secondaire

En 1904, 35,6% des inscrits ont leur résidence principale à Bordeaux; 26,9% ont une résidence secondaire, 6,9% ont plus d'une résidence secondaire!Ce sont généralement des châteaux,des domaines souvent viticoles.
En 1909/1910 parmi les inscrits, 21,2% ont leur résidence principale à Bordeaux et 17,5%, une résidence secondaire mais 8,4% ont plus d'une résidence secondaire!
Quelques élus ont leur résidence principale à Paris et un pied-à-terre à Bordeaux/Gironde:ce sont les députés et sénateurs.

b)la famille

Tous ne donnent pas d'informations sur leur famille;les plus discrets ne mentionnent rien,certains ne mettent que le nombre et le sexe de leurs enfants;on parle peu des épouses.
D'une manière générale,le nombre,la profession et le prénom des enfants figurent dans la biographie.Les prénoms de garçons sont systématiquement inscrits,rarement celui des filles;alors que les belles-filles ont souvent cet honneur,surtout si elles sont de bonne famille!Les garçons font des études:en droit,en médecine,dans l'armée ou la fonction publique.Le nombre d'enfant par famille est en moyenne de deux,rarement trois.
En 1904: J.Bussier,vice-président du comice agricole de Libourne,conseiler d'arrondissement:"Théo et une fille,mariée à Monsieur Ducourt à Libourne.Il est un des viticulteurs les plus distingués de la Gironde.Il possède en outre du vignoble à Saint Michel de Fronsac"; J.Bussier possède lui-même un château à Saint Michel de Fronsac!

L'élite politique bordelaise et girondine,de 1904 à 1914,est fortunée,essentiellement d'origine terrienne;élite économique,elle reste hermétique à l'élite intellectuelle.
Elle reflète,à l'échelle locale,la sociologie de l'élite politique au niveau national.

*Travail de vacation pour le CNRS,1990,sous la direction de Monsieur Bernard Lachaise,Université de Bordeaux III.

mardi 19 octobre 2010

Les visites officielles des présidents de la République, du Conseil et des ministres,à Bordeaux et en Gironde,de 1919 à 1940: extraits *.

L'histoire des régimes politiques,quelque que soit leur nature,est née d'un besoin pour ces régimes d'être légitimés.Ainsi naît la propagande.
Les outils utilisés sont divers et variés selon les régimes,selon les époques.Les visites officielles des hommes d'Etat en sont un excellent exemple.
Avec "Les visites officielles des présidents de la République,du Conseil et des ministres,à Bordeaux et en Gironde,de 1919 à 1940",nous abordons un exemple de propagande officielle sous la Troisième République française.

En 1919,la France sort à peine du premier conflit mondial et s'engage dans la reconstruction du pays avec deux handicaps:de lourdes pertes humaines et une crise monétaire.
Dans le camp des vainqueurs,elle entend faire payer les responsables de sa ruine;le début des années 1920 est consacré à obtenir de la part de l'Allemagne de conséquentes réparations.
Peu soutenue par ses anciens alliés (Etats-Unis/Royaume-Uni),elle réussit à mener à bout sa reconstruction dans les années 1924/25 et à retrouver un équilibre monétaire grâce à la rigoureuse politique de Poincaré.
Engagée dans un nouveau système économique mondialisé,dont elle comprend encore mal les mécanismes,la France s'enferme dans un monde d'illusions:illusions monétaires,de sa puissance,de sa sécurité;elle va avoir beaucoup de mal à s'en sortir.Il faut la défaite de Juin 1940 et la fin de la IIIème République pour prendre la mesure de ses erreurs...

De 1919 à 1940,autour du président,symbole vivant de la République se cristallise et tente de se réaliser une union nationale.Les élus nationaux et locaux deviennent de véritables émissaires.
Les visites officielles des hommes d'Etat français,à Bordeaux et en Gironde de 1919 à 1940 en témoignent...

Ces visites permettent de saisir l'atmosphère de la vie politique bordelaise et girondine dans l'Entre-deux-Guerres.Elles sont le reflet de la vie politique française.
Si dans leur forme,elles s'apparentent à celles de la Monarchie,les visites officielles de la République ont une vertu éducative.Elles sont utiles:elles permettent d'expliquer,d'obtenir l'adhésion à la politique gouvernementale.Elles sont une prise de risque:les manifestations de mécontentement sont un excellent baromètre;les élus peuvent être chahutés,contestés,critiqués,discrédités.Et le président de la République n'est pas épargné...

In fine,les visites officielles des hommes d'Etat français ne sont jamais contestées et semblent indispensables à l'exercice du pouvoir.Travail sur le terrain,ouvertes à toutes les critiques,elles sont inhérentes au bon fonctionnement de la démocratie,au respect de la République,de 1919 à 1940...

Sylvie Lacoste

*travail de mémoire de Maîtrise /D.E.A et projet de thèse de doctorat (élargi à la période 1800 à 1945) de Sylvie Lacoste,sous la direction de Monsieur Marc Agostino,Université de Bordeaux III.
*ce travail est référencé dans "Persée:portail de revues en sciences humaines";"Revue française de science politique-année 1992-vol 42-n°3-p.533.